A nouveau parle l'esprit à travers la matière ! »
Henri Van de Velde et les " Formules d'une Esthétique
Moderne " 7 Arts. - Vers une Architecture par Le Corbusier-Saugnier
Les beaux livres sont rares qui traitent de l'esthétique
moderne en général et de l'Architecture en particulier. Or deux ouvrages ont vu
le jour récemment. Je dis récemment alors que le premier publié de ces ouvrages
le fut en 1923. Mais est-il jamais trop tard pour parler de quelque chose de
vraiment bien ? Et ces livres sont mieux que de beaux livres. Ce sont de grands
livres.
Henri Van de Velde a bien droit au titre de précurseur.
Depuis 1880, il poursuit avec un véritable héroïsme, la tâche qu'il s'est
fixée. Malgré les déceptions et les attaques de toutes sortes, malgré les
haines de toute une tourbe rétrograde, malgré les calomnies idiotes, Van de
Velde poursuit son apostolat d'artiste moderniste. Rejeté par son pays, la
Belgique, il trouve en Allemagne un domaine où donner libre cours à son talent.
Après la guerre, il se fixe en Hollande. Et toujours il crée, travaille
inlassablement, ne consent à aucun fléchissement de sa conception de la beauté.
Il ne suffit pas de s'opposer au goût artistique du public :
il faut modeler ce goût. Et Van de Velde fait en toutes occasions des
conférences, écrit des essais où il expose ses théories d'art. Ce sont
quelques-uns de ces essais (parus de 1902 à 1912) que les Editions de l'Equerre
ont publiés sous ce litre : Formule d'une esthétique moderne. Victor Bourgeois
préface avec ferveur cet ouvrage. Car, voici que vient, pour Van de Velde, la
récompense de son labeur, de son courage. La génération d'artistes qui se lève
en Belgique le reconnaît pour son maître et le salue. Il suffirait, pour s'en
rendre compte, de feuilleter la collection du journal 7 Arts que publient à
Bruxelles ces « cinq » qui sont Pierre et Victor Bourgeois, Flouquet,
Karel Maes et G. Monier. Et les éditions de l'Equerre qui publient le livre de
Van de Velde sont aussi l'œuvre du groupe de 7 Arts. Qu'on me permette, au
passage, de crier bravo à ceux-là qui, à l'extrême avant-garde, bataillent pour
le modernisme et, alors qu'un peu de confusionisme permet à d'autres une marche
facile, ne se départissent pas d'une attitude absolument nette et franche sans
compromission d'aucune sorte.
La préface écrite par Victor Bourgeois pour les Formules
d'une esthétique moderne donne à cette œuvre la meilleure introduction qui
puisse être. Je regrette, ne pouvant la citer en entier, de n'en donner que le
seul passage suivant :
« Ces pages sont d'une actualité émouvante. Elles ne
sont cependant point récentes ni consacrées à des événements précis : leur
actualité provient uniquement de leur puissance. Mais la meilleure façon d'être
actuel ne consiste-t-elle pas à être durable, c'est-à-dire à devancer ?
Certains penseurs ont le privilège d'indiquer, dès le début d'une
crise, les remèdes que tous préconiseront, beaucoup plus tard, lorsque le mal
aura accompli un grand ravage, Mais, quand, pour la première fois, ils énoncent
leur pensée, l'indifférence les accueille. Leur temps n'est pas venu et
pourtant ces hommes, rares et obstinés, commandent l'évolution de leur époque ;
ceux qui les dédaignent, les subissent. Allant surpris le secret de la
civilisation ou de l'art, ces hommes ont associé profondément leur sort au
destin de la société ou de l'esthétique. Eux seuls, étant novateurs, sont les
guides et les maîtres
Henri Van de Velde prend magnifiquement place parmi eux.
Il n'est pas inutile de signaler encore que l'influence de
Henri Van de Velde fut considérable sur la formation du style moderne allemand.
Lors des débuts de ce mouvement en Allemagne, les allemands avaient l'habitude
de baptiser « style belge » le style moderne. Preuve indéniable, entre bien
d'autres, que le mouvement moderne est européen et non pas uniquement d'inspiration
allemande comme se l'imagine trop souvent le public.
Si après avoir rendu à Van de Velde et à la Belgique un
hommage mérité, nous tournons les yeux vers la France, quelques personnalités
s'imposent immédiatement. Nous avons quelques grands architectes : Tony
Gantier, Mallet-Stevens, les frères Perret, Le Corbusier-Saugnier. J'oublie
quelques noms. Pour les uns je le fais involontairement et parce qu'ils ne sont
pas présents à ma mémoire au moment où j'écris. Il en est d'autres, connus
cependant et célèbres que j'oublie parce que je veux bien les oublier. C'est
que le modernisme de ceux-là ne vise pas à d'autres résultats que ceux obtenus
par la récente exposition des Arts décoratifs. Car parmi les œuvres exposées
par des architectes français étaient seules vraiment modernes : La Tour du
Tourisme de Mallet-Stevens et la Maison de l'Esprit Nouveau de Le Corbusier. Et
j'en reviens à ce dernier.
Le Corbusier s'en va vers le même but qu'indiquait Van de
Velde. Pionnier, lui aussi, il va de l'avant et sans doute, parce que plus
jeune et d'une autre génération, il s'éloigne sur certains points des
conceptions de l'auteur du théâtre de l'Exposition du « Werkbund » à Cologne.
Peu importe d'ailleurs, il suffit de marcher toujours et de ne pas faire du «
sur place ». Le Corbusier, un jour, sera dépassé parce que les conditions de
vie auront changé.
Et c'est l'essentiel des théories esthétiques de Le
Corbusier Saugnier. L'architecture doit s'adapter aux conditions d'existence de
chaque époque. L'architecture et l'esthétique de l'ingénieur sont solidaires.
L'ingénieur établit un accord avec la logique et l'exactitude mathématique.
L'architecte crée un ordre et c'est cet ordre qui émeut les spectateurs.
Logique, ordonnance des formes, accord avec les lois universelles. C'est cela
la beauté.
Un navire un avion, une locomotive, une dynamo, sont chose,
belles parce que choses logiques, parce que dépouillées de toute surcharge
anormale. Pourquoi n'en sera-t-il pas de même pour l’habitation ?
Qu'on en finisse une bonne fois avec les styles. Et je
laisse à Le Corbusier Saugnier le soin de terminer.
« L'architecture n'a rien à voir avec les styles ;
Les Louis XV, XVI, XIV ou le gothique, sont à l'architecture
ce qu'est une plume sur la tête d'une femme ; c'est parfois joli, mais pas toujours
et rien de plus ».
Coups de Fouet
Et le Péril jaune ? ? ?
La question est à l’ordre du jour. Y a-t-il un péril
oriental ? Et voilà toute la gendelettrerie (sic) sur le qui-vive. Monsieur
Massis fulmine et moult grosses revues publient des numéros spéciaux consacrés
(pour ou contre) à la menace asiatique.
Messieurs les écrivains nous font bien rire avec leur
prétention à l'absolue clairvoyance. Pardonnons-leur, quand même ils savent
parfaitement ce qu'ils font et ce qu'ils veulent. On sait bien qu'à l'heure
actuelle, peu de corporations ont poussé aussi loin le grand art du battage et
de la réclame. Passons !
Et c'est pourtant aux princes de la plume et à leur grande
querelle « Orient-Occident », qu'hier au soir, j'ai pensé.
Un bruit de fanfares est venu troubler le silence de mon
bureau. J'ai voulu voir. Et allons-y maintenant d'une petite description dans
le style des chroniqueurs de la grande presse :
« Revenant de Sissonne, le 43e R. I. est rentré à
Lille. Il passe dans nos rues et les petits soldats, dignes de leurs aînés, se
redressent et rythment leurs pas aux sons martiaux des cuivres. Le drapeau
flotte qu'ont illustré ceux de la grande guerre et la soie déchirée frissonne
dans le soir. »
Voyez ! Ce n'est pas plus difficile que ça d'écrire dans «
Le Grand Echo ».
Heureusement, nous voyons clair. Sous leurs uniformes
poussiéreux, ils ont l'air bien fatigués, les soldats. Ils donneraient pour peu
de chose toute la gloriole du défilé et tout l'héroïsme qu'ils incarnent.
En tête et très fier, lui, très à son aise, chevauche le
colonel. Et qui donc se trouve à ses côtés ? Ah : frémissez, Massis et
Montherlant. Alarme, sauvez les meubles et qu'on vole au secours de notre
civilisation gréco-latine. Le Péril jaune prend une forme tangible ! Il est là
! Un officier japonais se tient à la tète d'un régiment français d'infanterie.
Massis et Montherlant trouveront ça tout naturel car,
voyez-vous, faut distinguer. La question orientale est double, tout comme
l'internationalisme, d'ailleurs.
Si les ouvriers français tendent la main à leurs frères
allemands, c'est une trahison infâme. Mais qu'un financier français ait des
intérêts dans une entreprise allemande, rien de grave. C'est normal, au
contraire, et ceux qui s'en indignent ont vraiment l'esprit bien mal tourné.
Le Péril jaune ? C'est les peuples d'Asie apportant à leurs
Frères opprimés d'Europe toutes leurs ressources d'énergies. C'est la Russie
nouvelle étendant vers l'occident son effort libérateur. Voilà le spectre qu'on
agite sans cesse devant les yeux de millions de naïfs. Quant aux chefs,
d'armées, qu'ils s'entretiennent amicalement, qu'ils se fassent part de leurs
expériences. Cela est bien ! Les armées capitalistes tiennent les peuples en
échec. Le môme but est leur raison d'être, à toutes. Souteneurs d'Impérialismes,
rien ne sépare les grands chefs qu'ils soient nés à Paris ou que Tokio (sic)
ait vu leurs yeux bridés s'ouvrir.
Coups de Fouet
Sur un Sujet déjà traité
Il y a quelques semaines, à propos d'un officier japonais
qui suivit les manœuvres du 43e R. I., nous fustigions les gouvernants qui,
pratiquant, pour leur compte, l'internationalisme, le condamnent dès que les
peuples cherchent à l'appliquer.
Il nous faut revenir sur ce sujet. Certes, nous n'espérons
pas que nos « papiers » puissent servir à autre chose qu'informer
l'opinion, mais, tout au moins, faut-il marquer le coup chaque fois que
l'occasion nous en est donnée.
« L'Echo du Nord » publie une courte notice pour
annoncer que le colonel d'état-major turc Basseri bey est en stage au 43e R. I.
Tout d'abord, demandons à l’ « Echo » si les rédacteurs
qu'il emploie ont jamais été à l'école. En effet, pigez-moi ce titre en pur
charabia : « Nous apprenons les Turcs à faire la guerre !!! ». Mats,
ne sortons pas de la question.
Ainsi, après les japonais, ce sont les turcs qui viennent en
France pour apprendre à se battre. Je ne pense pas que les uns comme les autres
en aient vraiment besoin. Mais il reste cela : La France, école de guerre ! Ce
n'est déjà pas un mince titre de gloire, hein ? On parlera, après cela, de
l'Allemagne militariste et danger perpétuel pour la paix du monde.
Pourquoi n'évoquerait-on pas les massacres d'Arméniens
périodiquement organisés par les turcs ? Pourquoi pas, ô ! France, champion du
droit et défenseur des opprimés ? Je connais la réponse. On nous dira que,
depuis Mustapha-Kémal et le gouvernement d'Angora, la Turquie est régénérée,
modernisée, rrrrrépublicaine (sic). Voire ! Je recommande à tous ceux qui
veulent des documents de bonne foi, la lecture d'un livre que Magdeleine Marx
vient de publier sous ce titre : La Perfide. La Perfide, on le comprend, c'est
la Turquie. Et le bouquin en question est un admirable récit de voyage tout à
la fois passionnant comme un beau roman d'aventures et précis comme un récit
d'explorateur. Il prouve, ce livre, que rien n'est changé en Turquie. Et je
remets en question le cas Arménien et je dis : Comment pouvez-vous, Messieurs
les officiers français, vous commettre avec des massacreurs de chrétiens ?
Mais bah ! juifs ou musulmans, c'est ceux du peuple qui tombent. Tous les
internationalismes légaux sont contre le peuple.
Internationalisme financier des Lubersac et des Stinnes ;
internationalisme religieux des popes, des curés, des pasteurs ; internationalisme
militaire des états-majors français, turcs ou japonais, tout ça contre les
peuples.
Mais il est bien entendu que Moscou, siège de la 3°
Internationale (des prolétaires, celle-là) est un repaire de bandits. Bon Dieu,
que la logique bourgeoise est pitoyable.
Fit le plus triste, c'est qu'il y a encore des ouvriers qui
ne s'en sont pas aperçus !
Coups de Fouet
La Visite aux Assassinés
Ils se souviennent, une fois l'an de leurs victimes. Ils
osent se rendre, fleurs en moins et discours aux lèvres, sur les tombes de ceux
qu'ils envoyèrent au carnage. Tète haute, regard assuré, les maîtres vont
insulter de leur présence ceux qui ne demandaient qu'à ce qu'on les laisse
dormir tranquille. Ils prétendent rendre un hommage. Les inconscients ! Je
comprendrais qu'ils fassent pénitence, qu'ils aillent à genoux et front dans la
boue, sangloter toute leur honte dans les cimetières de province, sur la tombe
du soldat inconnu de Paris. Mais ils n'ont pas de cœur, pas de remords. Mais
ils ne rougissent jamais !
Ceux qui sont morts pour la patrie. Ah ! s'ils pouvaient
parler, ceux-là !
J'ai sous la main, un petit livre de poèmes. Et j'y trouve
ces vers qu'on me permettra de citer. Ils sont hélas, de circonstance :
« Laissez-les donc dormir en paix !
Ces morts, ces morts couchés, que vous, ont-ils donc fait
Pour être pourchassés dans leur funèbre asile ?
— Après avoir porté le faix
De tant de maux et de forfaits,
Après s'être damnés pour vos haines civiles,
Avoir sacrifié leur jeunesse et leur sang,
N'ont-ils pas droit que le Passant,
A leur trépas compatissant,
Les laisse enfin pourrir tranquilles ? »
Celui qui écrivait ces vers s'appelait « Marc de Larréguy
de Civrieux ». Il fut tué le 18 novembre 1916, à Froideterre, devant Verdun.
Mais les tueurs ne peuvent pas comprendre, ne comprendront
jamais.
Il y en a d'autres, hélas, qui ne comprennent pas. Je veux
parler d'un certain nombre d'anciens combattants, de ceux qui sont groupés dans
les Associations nationales. Je comprends que ces hommes-là aillent rendre
visite aux tombeaux de leurs camarades. Mais pourquoi ces drapeaux ? Mais
pourquoi ces fanfares ?
Où il ne devrait y avoir que des pensées de paix et de recueillement,
on voit reparaître le panache, la gloriole, et le pieux pèlerinage devient une
cavalcade ! !
Et c'est pour tout cela que la guerre recommence !
Une Enquête Mondiale
sur la Profession d'Architecte
PRÉFACE
On sait quel intérêt de tout premier plan présente, pour
toute corporation, la question de défense professionnelle. Le hasard de
fonctions administratives qui m'avaient été dévolues par le Syndicat des
Architectes du Nord de la France, m'a poussé à étudier de très près telle
question, à rechercher ce que l'Etat avait fait pour défendre les architectes
et ce que les architectes avaient fait eux-mêmes. Il ne s'agissait pas de se
restreindre au cas de la France, il était même absolument nécessaire de savoir
« comment cela se passait » à l'étranger. La marche à suivre s'imposait
d'elle-même. Il fallait faire à ce sujet une enquête mondiale, questionner des
architectes de tous pays, de tous continents. Ce sont les résultats de cette
enquête que nous présentons aujourd'hui au public.
Mais il sied, auparavant, de faire une brève incursion dans
le passé, de suivre, à travers les âges, la marche — avec des sommets et des
dépressions — de la profession d'architecte. Cela nous permettra, peut-être, de
mieux comprendre le présent.
Il n'est pas inutile, non plus, de faire, dès l'abord, une
profession de foi. L'auteur du présent ouvrage est architecte, est fils
d'architecte. J'ai, ma foi, mon métier « dans la peau ». Le cas n'est certes
pas rare, et je pense que peu d'architectes ne se sentent pas tenu, par toutes
les fibres de leur être, à la profession qu'ils ont choisies. Je ne parle pas,
bien entendu, des fumistes et des hommes d'affaires de tout acabit qu'on
rencontre parfois et dont nos Régions Libérées furent fout particulièrement,
affligées pendant les années qui suivirent l'armistice. Plus que toute autre,
la profession exige de ceux qui l'embrassent qu'ils aient « la vocation ».
Qu'on ne s'y trompe pas. L'architecture, Art Majeur, réclame
autre chose que des dons de dessinateur, autre chose qu'un stage en une
quelconque Académie des Beaux-Arts. Il y a une psychologie de l'Architecture.
On attend celui qui saura l'écrire. Peut-être n'aurons-nous pas à attendre trop
longtemps, car il faut bien remarquer que peu d'époques possédèrent, autant que
la nôtre, tant d'architectes de valeur (je pense surtout à ceux d'avant-garde)
et tant de théoriciens de l'architecture.
Il y a l'ambition de l'architecte et ce n'est pas un facteur
à dédaigner. Non pas seulement gagner sa vie, voire même faire fortune. Non pas
édifier un nombre imposant de constructions plus ou moins intéressantes... et
toucher les honoraires. Mais construire le chef-d'œuvre qui restera. Mais
dresser — ô ! Solness ! « La haute tour qui, sur les flots, domine ».
Orgueil, dira-t-on. Et après ? A-t-on jamais vu l'humilité à
la base de quelque chose de grand ? Foin des vertus chrétiennes. L'Architecture — qui permit l'édification des cathédrales — est un
Art payen (sic). J'ai l'air de me complaire dans l'anachronisme et pourtant...
Mais je m'écarte de mon sujet, pilote inexpert, et redressons notre ligne de
route.
En ce qui concerne le point de vue historique, nous nous
contenterons d'examiner la situation des architectes occidentaux. Les
renseignements, à vrai dire, ne foisonnent pas. Il est néanmoins, possible ne
projeter une lumière suffisante sur des coutumes qui régirent la profession
d'architecte à partir du XIVe siècle, c'est-à-dire à partir d'une époque où
l'architecte, s'il existait en fait, ne possédait pas la personnalité qu'il
acquit par la suite.
Loyalement, je cite mes références : Viollet-le-Duc,
fouilleur d'archives et écrivain autant qu'architecte, m'a fourni une bonne
partie des renseignements dont je dispose. D'autres sources livresques
auxquelles j'avais cru pouvoir puiser, n'étaient elles-mêmes, que des
démarquations (sic) plus ou moins avouées des travaux de Viollet-le-Duc.
Jusque vers la fin du XIIe siècle, les constructions
religieuses et civiles, voire même les constructions militaires, sont édifiées
sous la direction d'architectes fournis par les grands monastères de l'époque.
Je dis sous la direction d'architectes mais, en réalité, ce titre n'apparait
pas avant le XVIe siècle. On désignait
l'artisan sous le qualificatif de « maître de l'œuvre », désignation infiniment
plus riche et plus nette. Alors, on ne réclamait pas à l'architecte — comme
hélas, on le fait trop souvent de nos jours — la stricte édification du gros
œuvre d'une construction accompagné de quelques maigres détails. L'œuvre,
c'était alors non seulement
l'immeuble, mais le meuble,
c'était le contenant en même temps que le contenu. Le « Maître de
l'Œuvre » étudiait la décoration intérieure aussi bien que la décoration extérieure. Et je crois que les
vestiges qui nous restent de telles époques apportent l'indéniable preuve de la
supériorité d'une semblable
façon de procéder.
Notons avec satisfaction que les architectes modernes (et c'est toujours
des éléments d'avant-garde qu'il s'agit, avant tout) s'attachent de plus en
plus à ne rien négliger de tout ce qui concerne les immeubles qu'ils
construisent, étudiant jusqu'aux objets usuels.
En dehors de tout romantisme, l'Architecture doit poursuivre
sa route parallèlement à la vie. Il n'y a pas d'art pur et la croyance en ce
dernier fut l'erreur de trop d'artistes à certaines époques. De nos jours
encore, combien d'hommes doués gaspillent leur talent à la poursuite d'une
insaisissable chimère.
Au XIVe siècle, l'architecte est un homme de l'art dont on
indemnise seulement le travail personnel. Nous sommes loin, encore, du statut
qui régit actuellement la profession. Celui qui fait construire est son propre
entrepreneur. Il achète tous matériaux nécessaires et paie lui-même les
ouvriers qu'il embauche. Tout le travail se fait en régie, mais sans que
l'architecte ait à s'occuper d'autre chose que de la partie « noble », si
je puis dire, de l'entreprise.
Vers la fin du XIVe siècle, l'importance de l'architecte
diminue en même temps que s'imposent les corporations. Chaque corps d'état ne
s'occupe guère de l'architecte. On constate souvent, dans les bâtiments datant
de cette époque, des erreurs qui n'ont pas d'autre cause que ce défaut de
liaison.
L'architecte était alors (fin XIVe siècle), rémunéré par
appointements fixes. Viollet-le-Duc indique un chiffre que nous citons ici à
titre de curiosité. Le salaire d'un architecte était de 250 sous par trimestre
ce qui correspond à une somme de 1.500 francs de notre monnaie, ou à peu près.
Puisque notre enquête touche également à la question de
l'enseignement, il faut remarquer que pendant les XIII et XIVe siècles, il
existait dans diverses régions de la France des écoles laïques d'architecture.
Ces écoles se rencontraient, entre autres provinces, dans celles de Normandie,
Picardie, Champagne, dans l'Ile de France, aussi, en Bourgogne et en Flandre.
L'actuel apprentissage chez un patron, le travail en atelier, rappelle assez
bien, sans doute, les moyens d'enseignements des écoles précitées.
Au XVe siècle, la profession d'architecte perd de plus en
plus de son prestige, de son autorité.
Dès le XVIIe siècle, on voit paraître, déjà, les parasites
de l'architecture. Des non-valeurs s'emparent d'un titre qui n'était, alors,
pas plus protégé qu'il ne l'est aujourd'hui. Et j'en reviens à parler d'un
point essentiel que J'ai signalé, déjà, au début de cette préface. Je veux dire
les qualités de premier ordre qu'on est en droit d'exiger d'un architecte.
Platon mettait l'architecture sur le même rang que d'autres sciences de tout
premier plan, sur le même rang que la médecine et la philosophie. Lorsque
l'architecture n'était encore le fait que des seuls établissements religieux,
la valeur de l'individu primait même la hiérarchie conventuelle. De simples
moines étaient souvent architectes en chef, tandis que des Abbés s'obligeaient
au rôle d'ouvriers.
J'ai glané de pittoresques renseignements sur la profession
d'architecte au XVIIe siècle, dans l'œuvre de Philibert Delorme, qui fut un des
plus célèbres architectes de cette époque.
« Conseiller et Aumônier du Roy et Abbé de
Saint-Serez-lez-Anges », il composa un traité dont les II volumes publiés
en 1626, furent réunis sous le titre : « Architecture de Philibert de
l'Orme ». Il définissait son but : « que chacun pust entendre les façons et
moyens de procéder en l'Art d'Architecture ».
Delorme signale qu'une foule d'ignorants prennent le titre
d'architecte, dressent des plans et se mêlent de diriger l'exécution des
travaux. En ce temps, déjà, maîtres-maçons, charpentiers, peintres, notaires
mêmes, concurrencient (sic) les architectes et déjà ces derniers essayent de se
défendre par les pauvres moyens dont ils disposent et qui sont les mêmes de nos
jours. Nul novi sub sole.
Philibert Delorme s'en prend à la clientèle, aussi. Il
s'indigne contre les gens qui entreprennent de bâtir sans prendre l'avis des «
doctes architectes ». Et il donne — devançant Guadet — les préceptes dont ne
devra pas s'écarter l'architecte, préceptes d'honnêteté et de loyauté qui sont
l'honneur de notre profession.
L'architecte ne doit être ni fol, ni glorieux, ni
présomptueux, ni fier. Il doit refuser d'être comptable des deniers du seigneur
qui l'emploie, se bornant à diriger les dépenses et à veiller à ce que le seigneur ne soit pas trompé par celui qui aura le maniement
des fonds.
Il ne recevra jamais de présents des ouvriers qu'il aura
sous ses ordres, afin de conserver la liberté de les tancer et chasser au
besoin.
Ceux qui font bâtir doivent, de leur coté, laisser tout
pouvoir à l'architecte de choisir les ouvriers qu'il veut employer. Il importe,
aussi, qu'il ne soit pas importuné dans ses travaux par les parents et les
domestiques du seigneur. Ces gens-là en veulent à l'architecte « parce qu'ils
ont peur que la marmite se diminue et que l'on ne fasse si grande chère qu'on a
accoustumée », à cause des dépenses faites dans la construction. Et que les
propriétaires d'aujourd'hui suivent les conseils de Philibert Delorme
recommandant à chacun « d'examiner sa bourse et ses facultés avant que bastir
».
Jamais, à vrai dire, la profession d'architecte n'a donné le
pactole à ses fidèles. Les architectes de la Renaissance, par exemple, ne
vivaient pas plus en grands Seigneurs que ceux d'aujourd'hui. Ils ne
s'amusaient pas à singer les gentilshommes. Ils ne craignaient pas de porter le
costume de leur état. Et s'ils savaient se tenir à leur place, sans doute ne se
fussent-ils pas abaissés à certains calculs, à certaines combinaisons dont ne
se font pas scrupule d'user bon nombre de nos contemporains.
Ainsi on retrouve cette base morale de probité et de
droiture en quelque époque qu'on étudie la profession qui nous occupe.
Sied-il de regretter vraiment les siècles passés ?
N'exagérons rien et je pense que l'espoir vaut toujours mieux que les regrets.
Attendons de l'avenir, tels progrès qui donneront à l'Architecte la place qui
lui est due et qu'il saura mériter.
Le passé ? Oh ! le passé n'était pas exempt de tares ; la
concurrence n'était pas toujours très loyale entre confrères. Les intrigues
jouaient, comme de nos jours, leur rôle, et ce n'était pas très propre, certes.
Je n'en citerai qu'un exemple. Il s'agit du projet
d'achèvement du Louvre. L'architecte italien Bernin était en bonne posture,
lorsqu'on vit le premier commis des bâtiments du roi, Charles Perrault,
intervenir en faveur de son frère. Il réussit à faire évincer le rival
transalpin. Ce qui ne veut nullement dire qu'il faille regretter le talent
médiocre de ce dernier. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il soit indiqué de
se féliciter du choix de l'architecte Perrault et de la fameuse colonnade du
Louvre qui lui est due. Mais je m'écarte de mon sujet, qu'on m'en excuse.
J'ai parlé déjà, au cours de cette préface, des familles
dans lesquelles la profession passe de père en fils. C'est peut-être cela qu'on
peut regretter lorsqu'on regarde dans le passe. On ne trouve plus de véritables
dynasties d'architectes, de vraies lignées de grands bâtisseurs.
Je pense aux Drouin, de Nancy, aux Du Temple, aux Le Breton,
aux Blondel. J'évoque les Gabriel qui de Jacques 1er (1604) à Ange Antoine
(1775), se transmirent intact le flambeau. Je donne tous ces noms sans aucun
ordre et tels qu'ils se présentent à ma mémoire. Certes, il y a des oubliés et
pas des moindres.
Il n'est, en tout cas, pas possible de nier que la
profession d'architecte traverse actuellement une crise. Cette crise correspond
à celle que subit l'Architecture elle-même. Il est peut-être intéressant de
chercher quels sont les responsables de telle situation.
Il y a l'Etat, tout d'abord, qui ne protège
qu'insuffisamment l'architecte et n'accorde aux écoles d'architecture qu'une
attention vraiment trop limitée.
D'autre part, est-il possible d'affirmer que seules les
qualités et le talent des hommes de l'art entrent en ligne de compte lorsqu'il
s'agit de passer commande pour un bâtiment officiel ? Je ne le pense pas. On
peut observer de nos jours bien des affaires semblables à celle
« Bernain-Perrault », que je signalais tout à l'heure.
Le public est coupable lui aussi. On peut enregistrer une
absence totale d'éducation en ce qui concerne l'Architecture dont si peu de
personnes conçoivent le véritable rôle social.
Pour le public, l'Architecture est un luxe. Encore la
plupart de ceux qui seraient en mesure de s'offrir le dit luxe traitent-ils
l'édification d'une construction comme une « affaire », comme n'importe quelle
affaire.
En troisième lieu et puisque nous venons de parler du manque
d'éducation du public, il est permis de regretter que la critique — capable de
prendre en main cette éducation — se désintéresse complètement de la question.
Les journaux quotidiens critiquent n'importe quel petit
salon de peinture et toute manifestation théâtrale ou musicale. Il est beaucoup
moins facile, évidemment, de critiquer un bâtiment qu'une quelconque audition
de musique de chambre ; mais l'intérêt de telle question ne mérite-t-il pas un
effort ? Je pose le problème. La solution s'inscrit d'elle-même, et clairement,
il me semble.
Nous cherchons les moyens capables d'éliminer du corps des
architectes tous éléments mauvais. Nous voulons établir une sélection entre
ceux qui sont dignes de porter le titre d'architecte et ceux qui déshonorent
notre profession.
Pour atteindre ce but, il y a, bien entendu, la
réglementation officielle. Mais, on ne saurait, d'autre part, sous-estimer
l'influence bienfaisante que pourrait avoir un public « à la page », des masses
mises et tenues au courant des choses de l'Architecture.
Les diplômes et les règlements ont en vue la protection du
public. Nous voudrions aussi que le public protège en quelque sorte
l'architecte.
Il faut pour cela former l'opinion et nous donnons la parole
aux critiques. Quelle plus belle tâche pourrait-on leur proposer ? Mais,
abrégeons cette préface, trop longue déjà. Avant d'exposer les résultats de
l'enquête à laquelle je me suis livré, je tiens à remercier ici, très
chaudement, Messieurs les Ministres, représentants de la France à l'étranger et
les dévoués Confrères qui voulurent bien répondre à mes questions. Qu'ils
soient assurés de ma gratitude. Il m'eût été bien impossible sans leur précieux
concours de présenter au public les pages qui vont suivre... et dont je ne
retarderai pas davantage la lecture.
AVANT-PROPOS
Dans le but de compléter une enquête, sérieusement amorcée,
déjà, par des voyages et des études personnels, nous avons fait tenir à de
nombreux architectes un questionnaire portant sur les principaux points qui
nous intéressaient. Nous avons eu le plaisir de voir le dit questionnaire —
variable suivant qu'il s'agissait d'architectes métropolitains ou d'architectes
coloniaux — bien accueilli par nos confrères. Nous demandions à ces derniers
non seulement des renseignements sur l'exercice de la profession dans leur pays
de résidence, mais aussi leur avis personnel quant à cette profession. En
substance, ceci :
Politique morale et économique de la profession
d'architecte. Quelle doit être, selon votre point de vue, cette politique ?
Comment les groupements d'architectes de votre pays comprennent-ils cette
politique ?
Y a-t-il dans votre pays, des lois réglementant la
profession d'architecte et assurant l'exclusivité du titre aux seuls
techniciens capables ?
La construction des édifices publics est-elle confiée plus
facilement à des architectes agréés par les autorités ?
Les architectes sont-ils groupés en organisations
professionnelles ? Quelle est la forme de ces organisations ? Quel but
poursuivent-elles ? But économique ? But mutualiste ? S'agit-il de Syndicats de
défense ? Quelles sont les écoles qui préparent à l'exercice de la profession ?
Quels diplômes délivrent ces écoles ? Quelle est la valeur pratique de ces
diplômes ? Quelles sont les conditions requises pour l'admission des élèves ?
Y a-t-il des écoles régionales ou seulement des écoles
nationales ? Quelle est votre opinion personnelle quant au
principe d'une réglementation de la profession ?
Nous parlons d'une réglementation de la profession et c'est
cela qui nous a donné l'idée de notre enquête. Parce que telle réglementation
nous semble non seulement utile mais disons carrément indispensable.
Il y a, d'abord, l'absolue nécessité d'un titre sans lequel
un architecte ne pourrait exercer.
En effet. Nous avons vu de quelle importance était le métier
d'architecte et quelle science il exigeait et la responsabilité inclue.
Alors que d'autres professions comme celles de médecin, de
pharmacien, d'avocat, qui toutes impliquent une certaine somme de
responsabilité, sont protégées légalement, l'architecte seul, se trouve
désarmé. Tout le monde peut s'établir architecte, alors que des diplômes
sérieux défendent l'abord du barreau et l'exercice de la médecine.
Il y a là une inégalité flagrante, une injustice
insupportable. Et, c'est aux architectes qu'il appartient de s'insurger,
d'imposer leur volonté de voir la profession réglementée.
Pourquoi n'y aurait-il pas une Chambre des architectes,
comme il y a une Chambre des Avocats ? Illogisme !... et partout, on en est au
même point.
Diplôme, disons-nous, diplôme indispensable.
Examinez de près cette question en prenant la France comme
point de base. On verra par la suite ce qui se passe dans d'autres pays et que
seule, aujourd'hui, la Russie semble près du but à atteindre.
L'Ecole des Beaux-Arts de Paris et les écoles dites «
régionales », délivrent le diplôme de D. P. L. G. . Quelques départements
octroient le titre d'agréé des communes et des Etablissements publics. Ce
serait parfait et l'on pourrait limiter le nombre des professionnels à ceux pourvus
de ces pièces, s'il était permis à tout le monde de fréquenter ces Ecoles. Or,
bien des jeunes hommes sont obligés de travailler par leurs propres moyens et
nous savons qu'ils ne sont pas les moins pourvus de talent, bien au contraire.
On ne peut interdire à ceux-là le titre d'Architecte. C'est donc un diplôme
spécial qu'il faut créer. Il faut que, dans chaque département, une Commission
spéciale soit formée et fasse passer aux candidats, un examen de capacité. II
existe quelque chose de semblable pour les Architectes agréés des communes,
mais trop souvent il manque un caractère vraiment sérieux à ces sortes de
compétitions.
Voilà donc un moyen de réglementation, je l'indique
seulement, en trait d'esquisse. Il faut établir des bases solides, étudier des conditions
précises, éviter tout ce qui pourrait servir de prétexte au confusionnisme.
Depuis des années déjà, on recherche dans tous les pays, —
ou presque — les moyens d'arriver à tel but. On fait des projets de lois dont
certains sont excellents. Nous en parlerons plus en détail à propos de chacun
des pays passés en revue.
Si les Architectes veulent arriver à faire valoir leurs
droits, il faut absolument que leurs Associations se fondent en groupements
puissants, cessent de travailler sans cohésion et de pourfendre l'eau à coups
d'épée. Mais il y a ce défaut d'organisation grave. Et cette aisance factice
des intellectuels, cet espèce d'orgueil qui les gène pour toute action, qui les
font retarder de beaucoup sur les syndicats ouvriers.
Il faudra parler de la Russie et nous n'y manquerons pas,
saluant, comme il le mérite, l'effort d'un peuple rajeuni et l'avènement d'un
ordre nouveau.
Nous parlerons de la Belgique où quelques-uns de nos
confrères poussent hardiment à la roue. Nous parlerons de l'Allemagne où tant
de bonnes volontés se sont levées pour documenter l'Architecte français.
Nous avons adopté pour le classement de ces divers pays
l'ordre alphabétique, plus logique selon nous. Nous placerons les colonies
immédiatement après le pays dont elles dépendent.
Nous avons réservé au Mercure de Flandre, la primeur de ce
travail. Toutefois, une partie de notre documentation technique, trop strictement
réservée aux professionnels, ne sera publiée qu'en volume. Il s'agit entre
autres, des questions d'honoraires, de contrats, etc., etc..
E.G.P.
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E. Gab. PAGNERRE
Enquête Mondiale sur la Profession d'Architecte
M. E. Gab. Pagnerre poursuit, depuis plusieurs années, avec
l'inlassable activité qu'on lui connaît, une vaste enquête sur la profession
d'architecte dans le monde.
N'hésitant pas devant un travail aussi considérable, qui lui
a demandé plusieurs années de recherches et d'études, il a donné à cette œuvre
toute l'ampleur que méritait un pareil
sujet.
M. Pagnerre a bien voulu nous confier les résultats de cette
enquête, qui a nécessité des voyages d'études (En Allemagne, en Belgique, en
Angleterre, etc.), et pour laquelle il a reçu, et continue de recevoir des réponses
de tous les pays du Monde : Japon,
Russie Soviétique, Chili, République Argentine, etc.,
Nous ne saurions trop insister sur la valeur d'une telle
enquête, unique au monde, croyons-nous. Le nom de M. Pagnerre, dont nos
lecteurs peuvent suivre dans le Mercure de Flandre les articles si compétents
et éclairés qu'il consacre à l'architecture, nous est un sûr garant de
conscience professionnelle.
Valentin BRESLE.
Editions du " Mercure de Flandre "
Lille - 204, rue
Solférino -- Lille
LILLE - IMP DU PROGRES DU NORD